Technès

Technès

Le partenariat international de recherche sur les techniques et technologies du cinéma, codirigé par André Gaudreault (section canadienne), Gilles Moüellic (section française) et Benoît Turquety (section suisse), est financé par le CRSH (2015-2022) afin d’étudier l’entrée du cinéma dans le troisième millénaire qui s’est opérée sous le signe du bouleversement technologique. La « révolution numérique » a provoqué des mutations profondes : la pellicule est sur le point de disparaître, les salles de cinéma s’ouvrent maintenant à la projection d’opéras en direct et les films sont vus de plus en plus fréquemment sur ce qu’on appelle des « dispositifs nomades ». Les frontières entre les médias sont maintenant de plus en plus diffuses et le « cinéma éclaté » d’aujourd’hui se rapproche de plus en plus des univers de la télévision, de la vidéo, du Web ou autres plateformes numériques.

Le bouleversement des pratiques que cette révolution entraîne du côté de la production et de la réception des films a des effets notables du côté tout aussi bien des études cinématographiques que de la conservation du patrimoine. Il est ainsi devenu essentiel pour l’avancement de la recherche que l’on réintègre la dimension technique dans la réflexion scientifique sur le cinéma. En repensant ensemble technique, histoire et esthétique, les membres et partenaires de TECHNÈS seront à même de mieux comprendre les mutations technologiques et leurs interactions manifestes avec les théories, les esthétiques et les pratiques du cinéma. Pour ce faire, les membres et partenaires de ce projet ont construit une programmation 1) de recherche, 2) de formation, 3) d’activités de transfert, de mobilisation, de diffusion et de valorisation, autour d’un projet central, celui de la création d’une Encyclopédie raisonnée des techniques du cinéma bilingue (français et anglais). Cette Encyclopédie numérique et évolutive, accessible en ligne, permettra, par le biais de textes rédigés par les chercheurs et collaborateurs du Partenariat, de constituer une source de savoir nécessaire et tout à fait nouvelle et valorisera du même coup les résultats des travaux de recherche des membres du partenariat. Elle rendra en outre disponibles des documents encore inédits (archives, brevets, documents audiovisuels, etc.), qui feront en grande partie l’objet des recherches sur les sept années du projet. S’ajouteront à cela les entretiens qui seront réalisés avec des artisans des techniques cinématographiques. La réalisation et le dépouillement des entretiens filmés viendront alimenter les réflexions théoriques menées par les chercheurs associés au projet. L’Encyclopédie, unique et ambitieuse, fera ainsi œuvre de conservation de la mémoire, en plus d’être un formidable outil de documentation et de réflexion pour les divers intervenants de la sphère du cinéma ainsi que le grand public.

Site officiel

 

Partenaires

Ce projet de partenariat regroupe plus d’une quarantaine de chercheurs parmi les plus chevronnés sur la scène internationale. TECHNÈS réunit :

En France :

En Suisse :

Au Canada :

Aux États-Unis :

À l’international :

 

Cochercheurs

 

François Albera (Université de Lausanne)
Rick Altman (University of Iowa)
Olivier Asselin (Université de Montréal)
Richard Bégin (Université de Montréal)
Marta Braun (Ryerson University)
Marta Boni (Université de Montréal)
Emmanuel Château (Université de Montréal)
Thomas Elsaesser (Universiteit van Amsterdam)
Marc Furstenau (Carleton University)
Jean Gagnon (Cinémathèque québécoise)
André Gaudreault (Université de Montréal)
Tom Gunning (University of Chicago)
André Habib (Université de Montréal)
Jean-Marc Larrue (Université de Montréal)
Laurent Le Forestier (Université Rennes 2)
Priska Morrissey (Université Rennes 2)
Gilles Mouëllic (Université Rennes 2)
Isabelle Raynauld (Université de Montréal)
Aboubakar Sanogo (Carleton University)
Maria Tortajada (Université de Lausanne)
Benoît Turquety (Université de Lausanne)
William Uricchio (MIT)
Marcello Vitali-Rosati (Université de Montréal)

 

Collaborateurs
Karine Abadie (Memorial University of Newfoundland)
Michael Baker (Sheridan College)
Julie Beaulieu (Université Laval)
Alain Bergala (La fémis)
Alain Boillat (Université de Lausanne)
Alessia Bottani (Cinémathèque suisse / Université de Lausanne)
François Bovier (École cantonale d’art de Lausanne/Université de Lausanne)
Paolo Cherchi Usai (George Eastman Museum)
Lyne Da Sylva (Université de Montréal)
Michael E.Sinatra (Université de Montréal)
Michèle Garneau (Université de Montréal)
Philippe Gauthier (University of Ottawa)
Marcel Jean (Cinémathèque québécoise)
Charlie Keil (University of Toronto)
Frank Kessler (Universiteit Utrecht)
Martin Lefebvre (Concordia University)
Laurent Mannoni (Cinémathèque française)
Jean-Baptiste Massuet (Université Rennes 2)
Rosanna Maule (Concordia University)
Viva Paci (Université du Québec à Montréal)
Bernard Perron (Université de Montréal)
Yves Picard (Cégep André-Laurendeau)
Jean-Pierre Sirois-Trahan (Université Laval)
Jonathan Sterne (McGill University)
Stéphane Tralongo (Université de Lausanne)
Barbara Turquier (la Fémis)

Des collaborateurs ponctuels s’ajouteront au partenariat en cours de projet.

 

Les Arts Trompeurs. Machines, Magie, Médias.

Les Arts Trompeurs. Machines, Magie, Médias.

 Deceptive Arts. Machines, Magic, Media

2015-2018

 

Porteurs du projet : 

Jean-Marc Larrue (Université de Montréal, Grafics/CRILCQ) et Giusy Pisano (ENS Louis-Lumière, IRCAV).

Partenaires internes au Labex Arts-H2H

Partenaires externes au Labex Arts-H2H :

  • Comité des Étudiants de l’INRS en Sciences des Matériaux et de l’Énergie (CEISME)
  • Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel (IRCAV)
  • L’institut supérieur des arts appliqués (LISAA)

Partenaires internationaux : 

 

Télécharger le programme de l’atelier international qui se tiendra le 14 avril dans le cadre du projet :  

La Magie : pratiques et discours. À la croisée des regards

 

Présentation du projet scientifique :

Ce projet propose une analyse des technologies mises au service des arts du spectacle, en Europe et en Amérique du Nord. Des investigations empiriques et théoriques menées par une équipe de chercheurs interdisciplinaire, étudieront l’impact de ces technologies tant dans le processus de création que dans la réception des œuvres. Leurs noms sont cités entre parenthèses dans le présent texte pour l’axe qui les concerne.

Dans le vaste panorama des technologies que plusieurs siècles d’histoire des techniques offrent, l’attention sera particulièrement portée sur les dispositifs sonores et visuels qui se jouent de nos sens et qui ont été mis au point pour les fantasmagories du XVIIIe siècle, les spectacles lanternistes et les panoramas de la fin du XIXe siècle ; pour la mise en scène (théâtre, opéra, radio, magie, cinéma, télévision) de la fin du XIXe siècle à nos jours. S’il s’agit de dispositifs parfois très anciens et parfois encore en phase expérimentale, les uns et les autres cherchent à déstabiliser la perception du spectateur, car c’est « en ôtant à l’œil [et nous pourrions ajouter : l’oreille] tous les termes de comparaison que l’on parvient à le tromper au point de le faire hésiter entre la nature et l’art .»

Ce sont bien les machineries qui s’appliquent à « dérégler nos sens » qui sont au cœur de cette recherche collective. Elles ont fait l’objet d’études singulières portant sur tel ou tel autre dispositif sonore ou visuel, telle ou telle autre époque pour un domaine artistique très précis (cinéma, théâtre, télévision, etc.).

L’originalité de ce projet est à rechercher dans son approche intermédiale permettant de suivre les filiations possibles entre divers dispositifs ; dans le principe de donner aux dispositifs sonores la place qu’ils méritent ; dans sa volonté de faire dialoguer théoriciens et praticiens (à travers des ateliers et des manifestations culturelles) mais avant tout dans le choix méthodologique de prendre comme cadre de référence la magie, en tant que « patron-modèle » . De fait, si l’apport des technologies à l’émergence de nouvelles pratiques artistiques est notoire et attesté par maintes études sur le sujet, force est de constater que rares sont les recherches qui englobent dans leurs corpus les spectacles de magie : la magie ne semble pas faire partie des pratiques culturelles privilégiées par les chercheurs. Pourtant, les spectacles magiques sont bien souvent à l’avant-garde des techniques puisque, comme l’affirme Jean-Claude Beaune, « entre technique et magie, quelle que soit l’époque à laquelle on se situe, viennent se nicher des affinités suggestives… ». Les magiciens, à l’affût de toute nouveauté permettant de réactualiser leurs effets, ont utilisé et utilisent des appareils dont l’usage est encore peu répandu, car une technologie est, par essence, en perpétuel développement, donc toujours d’une certaine manière à un stade expérimental de développement (Matthew Solomon). Tel est le cas du cinématographe : « Il est parfaitement naturel qu’une illusion d’optique supérieure comme le cinéma se trouve initialement dans les mains des magiciens, qui souvent sont des mécaniciens experts, bien renseignés sur les trucages optiques ». Un autre exemple mériterait d’être cité, d’autant qu’il ne concerne ni l’ouïe ni la vue (au sens de l’illusion d’optique). Il s’agit de l’utilisation de l’électromagnétisme que fait, par exemple, Robert-Houdin lors du truc du « Coffre lourd », truc basé sur l’aimantation d’un coffre qui devient insoulevable quand l’électro-aimant, caché sous la scène, est activé .

Les relations entre technique et magie se sont développées également, notamment grâce à la rencontre entre les magiciens et les milieux savants où s’élaborent et se partagent connaissances technologiques et savoirs. Ces échanges pourraient être cristallisés dans la figure du démonstrateur savant du Chevalier Pinetti au XVIIIème siècle à Steve Jobs au XXème siècle (Nadia Barrientos, Remy Besson). Les spectacles – de Robert-Houdin et Georges Méliès, d’Abdul Alafrez, David Copperfield, de Jim Steinmeyer et Marco Tempest, etc. – questionnent les processus de production de l’illusion au rythme des innovations scientifiques en matière d’optique, d’acoustique, d’électricité et, plus récemment, d’informatique et de numérique. Les spectacles magiques qui en résultent, partagent avec les technologies mises au service du théâtre, du cinéma, de la radio, de la télévision, etc., les principes du secret, de la métamorphose, du double, de la participation. Ces paramètres se traduisent, pour chacun des dispositifs pris en considération dans ce projet, en termes de performativité et de technique analysables à partir des rapports entre trois paramètres : le corps, la machinerie et la représentation.

Au cinéma, ces trois niveaux sont orchestrés, notamment, par la figure de Faust – grand magicien et enchanteur métaphore du metteur en scène/cinéaste (Jean-Michel Durafour) – en vue de fabriquer des illusions (Emmanuel Dreux, Sylwia Frach, Réjane Hamus-Vallée, Guillaume Lavoie, Mathias Lavin, Isabelle Le Corff, Maxime Scheinfeigel) ou encore de déstabiliser la perception du spectateur par des surimpressions et fondus enchainés, des raccords-illusionnistes, des voix sans corps (Emmanuelle André, Jean-Michel Durafour, Mélissa Gignac, David Faroult, Pietsie Feenstra).

Certaines techniques comme la stéréoscopie reposent, par essence, sur une illusion. À partir de deux images légèrement différentes, le spectateur ne perçoit qu’une seule image, laquelle produit une impression de relief proche de celle de la vision binoculaire. Dès lors, la stéréoscopie possède un caractère magique. Oliver Wendell Holmes (1809-1894), professeur d’anatomie à Harvard, poète et inventeur du stéréoscope à main en avait fait l’expérience, relatée en 1871 dans la revue The Atlantic Monthly : « À ce charme de la fidélité dans les plus infimes détails, le stéréoscope ajoute sa stupéfiante illusion du relief, achevant ainsi l’effet qui envoûte tellement l’imagination. » (Esther Jacopin, Pascal Martin, Morgane Nataf, Guillaume Meral).

Néanmoins, le spectacle magique ne se limite pas aux astuces techniques, sa performativité passe (comme pour le théâtre, l’opéra, le cinéma, la radio, la télévision, etc.) également par la rhétorique. Le pouvoir magique des mots est au travail autant que le truc mis en scène ; les technologies « nouvelles » cohabitent avec les archaïsmes de la persuasion par la répétition, le rituel. Les textes philosophiques, littéraires, anthropologiques se sont faits bien souvent les « passeurs » entre les formes archaïques de la magie et celles qui paraissent si modernes. (Geneviève De Viveiros, Magali de Haro Sanchez, Cyrielle Dodet, Thomas Galoppin, Xavier Papaïs, Libera Pisano, Jonathan Sterne, Marcello Vitali-Rosati).

Magie technologique des médias : le « moment magique »

En poursuivant l’hypothèse avancée par Arthur C. Clarke : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie », nous pourrions considérer que toute technologie, tant qu’elle ne dévoile pas tous ses secrets, tant que les techniques qu’elle recèle ne sont pas maîtrisées, tant qu’elle n’est pas récupérée et formalisée par un média, reste à un stade que l’on peut définir comme un moment magique. Tel est le cas de la radio dont l’archéologie pourrait être pensée comme celle d’un moment magique dans l’histoire du média. Dès son apparition dans les années 1920-1930, l’importance des émissions consacrées au mentalisme et à la magie invite à analyser le caractère psychique voire occulte du médium radiophonique (Philippe Baudoin). Ce qui n’est pas sans relation avec les discours, pratiques et représentations relatifs aux origines occultes et magiques des télé- et ciné-dispositifs qui mettent en jeu deux grands principes récurrents guidant les recherches scientifiques et technologiques dans le domaine de la reproduction audiovisuelle : la vision/audition à distance et la projection (Mireille Berton). L’histoire même du concept de « medium » est caractérisée par l’entrelacement entre trois grandes lignes généalogiques : une ligne qui concerne l’histoire de la physique et de la théorie de la perception (les concepts aristotéliciens de diaphane et de metaxy, et les media diaphanes de l’optique médiévale et moderne) ; une ligne qui concerne l’histoire de la logique (le terminus medius du syllogisme) ; et une troisième ligne qui va de l’histoire de la magie à l’occultisme, de Paracelse et Athanasius Kircher, et de l’occultisme à la photographie spirite du XIXe siècle. Ces trois traditions convergent dans la théorie des médias élaborée par des auteurs comme Béla Balázs et Walter Benjamin, pour ensuite poursuivre leur chemin à travers le XXe siècle (Antonio Somaini).
De ce point de vue il est possible d’envisager une approche magique de la photographie afin d’interroger le lien fondamental qui associe l’image photographique à la mort ; que celle-ci réside dans l’enregistrement d’un événement passé ou dans son pouvoir de chosification, exposant le sujet au regard gorgonéen (Clément Bodet). Le cinéma lui-même a été défini – dans les discours théoriques tenus en France dans les années 1910-1920 – comme art télépathe. Ce dernier, très en vogue à cette époque et souvent pratiqué, à l’aide de trucs (le cumberlandisme) dans les spectacles de magie, a été considéré comme un objectif à atteindre à travers l’expérience collective de la réception filmique, en vue de la création d’un « homme nouveau » (Emmanuel Plasseraud).

En effet, le cinématographe a été très vite vu par les magiciens comme l’un des éléments qui pouvaient être intégrés dans leurs spectacles. Il était tour à tour utilisé comme outil, intermède, numéro de substitution, ou machine à illusions. Les artistes magiciens cherchaient à confondre la perception du spectateur en voilant les moyens qui président à la réalisation des effets. De même, ils cherchaient l’indiscernabilité de ces moyens dans leur pratique cinématographique. Le cinématographe constituait pour eux un nouvel instrument pour créer une dissonance entre le perçu et le connu. L’utilisation des vues animées était basée sur ce même principe, exploitant l’écart entre la perception du spectateur et sa connaissance/reconnaissance de l’illusion cinématographique. Plus qu’une attraction autonome, les vues créaient une confusion et plus largement construisaient l’ensemble du discours qui sous-tend le spectacle (Frédéric Tabet). Placer l’émergence du cinématographe dans le contexte des spectacles magiques permet de porter un regard nouveau aussi bien sur les pratiques cinématographiques que sur l’art des magiciens qui reste largement inexploré et sous-estimé (Jean-Pierre Sirois-Trahan), alors que les archives témoignent de son importance à la fin du XIXe siècle, et que de nos jours des blogs lui sont consacrés sur Internet (Delphine Chambolle, Lise Jankovic).

Du « mode magique » à la mise en abyme entre dispositifs

Loin d’être une attraction ajoutée par hasard, les vues animées servent un effet général qui dépasse le simple divertissement et entrent dans une construction trompeuse en échange avec la scène : les vues animées s’immiscent dans les spectacles magiques et assez rapidement dans d’autres pratiques artistiques. Rappelons que si des formes de spectacle comme la féerie intègrent des projections de vues et font un large usage des trucages pour créer des effets magiques (Franck Kessler, Sabine Lenk, Stéphane Tralongo), le théâtre dramatique a également recours aux « nouvelles » technologies sonores et visuelles pour déstabiliser la perception des spectateurs (Renée Bourassa, Jonathan Burston, Vincent Dussaiwoir, Robert Faguy, Eran Geffroy, Jean-Marc Larrue, Véronique Perruchon, Jean-Paul Queinnec, Pascal Robitaille, Elisabeth Routhier) et cela dès la fin du XIXème siècle. L’opéra avec ses mises en scène grandioses mobilisant une machinerie complexe n’a pas attendu le déferlement des technologies numériques pour imaginer ses effets magiques (Daniel Durney, Laurent Guido, Isabelle Moindrot, Jean-Claude Yon ).

Depuis, les mises en scène théâtrales, filmiques et radiophoniques n’ont cessé de puiser dans les technologies jusqu’à proposer de nouveaux dispositifs qui se jouent de nos sens par des mises en abyme afin de retouver la magie, perdue, des dispositifs du passé. Des films comme L’Illusionniste (Neil Burger, 2006), Le Prestige (Christopher Nolan, 2006) ou Insaisissables (Louis Leterrier, 2013) questionnent la magie de scène et l’effet magique des effets spéciaux cinématographiques plaçant le spectateur entre les deux formes (Caroline Renouard).

Des séries télévisuelles s’amusent à renvoyer à l’artifice de leur création en mettant en scène et en détournant les machines et les technologies propres aux médiums de l’image animée. Ainsi, le dispositif nécessaire au passage dans le second univers de Fringe (2008-2013) ressemble étrangement à un cinématographe Lumière et la fenêtre qu’il ouvre renvoie à la forme de l’image projetée sur un écran. De même, afin de percer les secrets de l’origine des Tueuses, les personnages de Buffy contre les Vampires (Buffy the Vampire Slayer, 1996-2003) ont recours à des marionnettes utilisant le procédé du théâtre d’ombres. Celles-ci finissent par s’animer d’elles-mêmes et les ombres projetées sur les murs ouvrent alors un passage vers le passé. Et même lorsque les dispositifs techniques ne sont pas explicitement convoqués, on y fait régulièrement référence comme dans American Horror Story (2011-) qui convoque l’esthétique de l’image du cinéma des premiers temps, tel un hommage, pour dévoiler le surnaturel de son univers (Pierre Mathieu).

Peintre lettriste et pionnier de l’art vidéo, Michel Jaffrennou a le premier fait monter le petit écran sur scène pour exploiter les potentialités illusionnistes de la vidéo (Les Totologiques, 1979-1980). Son œuvre joue de manière ludique et spectaculaire des continuités en trompe-l’œil entre les acteurs présents en chair et en os et leur image électronique. Dans son dernier spectacle Algo et Ritmo « les technologies numériques sont aussi des technologies de réappropriation et de mémoire des anciens dispositifs (Méliès, avec Jaffrennou, est à nouveau parmi nous, comme on ne l’avait peut-être encore jamais vu) » . (Alain Carou).
Et en 2014, Robert Lepage propose une pièce, intitulée Cœur, traversée par la magie et l’illusionnisme de Robert-Houdin et Méliès (François Jardon-Gomez, Pascal Robitaille).

De nos jours, les exemples de mises en abyme recherchant la magie des dispositifs sont nombreux et devenus presque une forme dominante, tant l’hybridation est un phénomène de mode. Il n’en reste pas moins – là encore – qu’elles ne sont pas nouvelles. Le Diaporama, le Théâtre magique de Jean-Pierre Alaux, qui a certes été un essai éphémère (1821-1823), mêlait machineries et décors, jeux de lumière et automates afin de « porter la vraisemblance des choses au point le plus rapproché de la réalité ». Il offrait un spectacle hybride et représentait une tentative pour constituer des spectacles « d’un genre entièrement neuf » (Patrick Desile, Ségolène Le Men). Dès 1903, Georges Méliès réalise La lanterne magique, où il met en scène le dispositif de projection de la lanterne magique et propose également une réflexion sur la nature même du spectacle à la transition du XIXème et du XXème siècle : ici, la danse classique se mêle à la danse de cabaret et les danseuses évoluent autour des deux protagonistes incarnant la chanson populaire et enfantine, tandis qu’à la commedia dell’arte se marient le théâtre de guignol et le théâtre magique (Giusy Pisano, Caroline Renouard). Autre exemple, la « sensation magique » provoquée par la vision du tableau vivant est réactualisée par Antonin Artaud dans son projet d’adaptation cinématographique du Moine (Carole Halimi).

L’histoire du théâtre recèle de nombreux exemples d’hybridité scène/cinématographe comme l’illustrent les productions suivantes : la pièce Petit Péché d’André Birabeau représentée une première fois au Théâtre de la Comédie-Caumartin 1926 ; L’Homme d’un soir de Denys Amiel et Charles Lafaurie, montée en 1925 ; Leurs vedettes, d’Armand Salacrou, montée en 1920 ; La Course à l’étoile créée par Louis Verneuil, en 1928 ; Ferme ta malle créée par Pierre Darfeuil en 1930, etc. (Jean-Pierre Sirois-Trahan). Phénomène qui se trouve aussi dans la satire du cinéma par le théâtre de Broadway (Marguerite Chabrol).

On pourrait également appréhender sous l’angle magique les émissions de la télévision à ses prémices (Kira Kitsopanidou) ou encore analyser la persistance des numéros magiques dans les shows télévisés qui ont marqué la carrière de bien des artistes, tel José Garcimore un magicien « intermédial » partageant son activité entre scène, télévision, disques (Claire Baudet, Clémence de Montgolfier, Marie-Caroline Neuvillers, Guillaume Soulez, Matteo Trelani).

La circulation intermédiale de la mise en scène des bruits de l’art magique à la radio en passant par le cinéma reste encore à être retracée : elle trouvera ici sa place (Martin Barnier). La haute fidélité et la haute définition, des prototypes expérimentaux de contrôle, de mise en espace ou de synthèse du son analogique, ainsi que les technologies numériques dans le champ de la réalité virtuelle – de la réalité augmentée et des environnements immersifs – seront étudiées dans leur interdépendance avec ce qui les a précédées car, « toute nouvelle technologie, avant de devenir média à part entière, doit faire ses preuves de « capacité », elle doit se montrer compatible avec les médias déjà existants, c’est-à-dire capable de citer dans leur intégralité les contenus véhiculés par d’autres médias, ceux-là mêmes que la nouvelle technologie cherche à remplacer ». Citons à ce sujet le Gmebaphone – caractérisé initialement par une distribution spectrale fractionnée du signal sonore sur un grand ensemble de haut-parleurs, et contrôlé à l’aide d’une console de diffusion – et le « Gmebogosse », imaginé par Christian Clozier en 1972, fondé sur l’emploi de lecteurs-enregistreurs de cassettes, qui a été ensuite remplacé par des systèmes numériques, tel le Cybersongosse. Ce ne sont que les plus connues des nombreuses réalisations de l’IMEB, Institut de Musique Électroacoustique de Bourges (Kevin Dahan, Martin Laliberté, David Lauffer, Geneviève Mathon, Élise Petit, Sylvain Samson).

Bien d’autres dispositifs sonores ont connu un passé glorieux, pour ensuite être oubliés jusqu’à leur résurgence grâce aux technologies numériques : les sons magiques du Théâtrophone (1881) proposant l’écoute en direct à l’extérieur du théâtre de pièces jouées sur la scène sont désormais depuis 2006 accompagnés des images transmises par satellite dans les salles de cinéma du monde entier (André Gaudreault, Giusy Pisano). C’est enfin la question actuelle de la « naturalisation » des nouvelles technologies qui mérite d’être interrogée au regard des notions de « virtuel » et de « dématérialisation » de l’information qui ont fini par escamoter la réalité de leur fonctionnement (Aurélie Ledoux).

Si cette recherche touche aux discours et pratiques scientifiques, techniques et artistiques du passé (notamment le XIXe siècle avec la « fée électricité », la lanterne magique, la photographie spirite, l’opéra, les techniques d’illusion à l’opéra, le Théâtre Noir, etc.) et s’ouvre à une réflexion plus générale qui va de l’histoire des idées à l’histoire de l’art, de l’épistémologie des sciences à l’anthropologie des images et des sons, elle se propose dans un premier temps un objectif pragmatique : porter à la connaissance des étudiants et des chercheurs des dispositifs techniques insolites, très peu étudiés par les historiens et pourtant si importants pour la compréhension de l’actuel développement des « nouvelles technologies » dans un contexte culturel plus général. Leur étude permettra non seulement de (re)découvrir des images et des sons du passé, mais également d’en établir la résurgence dans les « nouveaux » dispositifs. Ainsi, les recherches empiriques entreprises dans le cadre de ce projet devraient permettre de revisiter l’histoire et les théories des dispositifs sonores et visuels au service des arts du spectacle à partir d’une démarche qui vise à en révéler l’intermédialité et l’interdépendance entre nouveaux et anciens médias.
L’ensemble des corpus analysés dans le cadre de ce projet permettra de revoir l’histoire des médias en fonction du « cycle technologique » de chacun : moment magique (croyance), mode magique (rhétorique), naturalisation (banalisation de la dimension magique).

L’ampleur du sujet, des sources éparpillées entre plusieurs pays, les compétences diverses auxquelles font appel les implications anthropologiques, historiques, techniques, théoriques et esthétiques, demandent une recherche nécessairement collective. Ce projet pourra bénéficier d’un réseau international qui commence à s’organiser avec l’Université de Montréal, l’Université de Lausanne, l’Université Laval, l’Université McGill, la Universiteit Utrecht, la University of Michigan, l’Université Western Ontario, la Humboldt Universität de Berlin, l’UQAC, l’UQAM, la Indiana University Bloomington.

Écranosphère

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S’inspirant des travaux effectués aux États-Unis dans le domaine récent de la « Screenology », Écranosphère est une revue en ligne publiant des articles scientifiques ayant pour sujet d’analyse tant l’histoire, la culture que l’esthétique de l’écran. Écranosphère a pour objectif d’offrir aux lecteurs des études consacrées à la place de plus en plus importante qu’occupe l’écran au sein de la culture médiatique actuelle; de la sphère culturelle des arts à la sphère scientifique et médicale, en passant par le monde de l’ingénierie et celui du spectacle. Créée en partenariat avec le GRAFICS, Écranosphère est une revue bilingue qui vise notamment à offrir à sa communauté de lecteurs différents points de vues transhistoriques, transmédiatiques et transculturels sur le rôle, le pouvoir et, surtout, la fonction des écrans au sein de la culture visuelle moderne. Pour plus de détails, consultez le site Internet de la revue à l’adresse suivante : www.ecranosphere.ca